J’ai déjà évoqué la « mort napolitaine » dans un précédent article. Il me semble en effet que si l’on parle de Naples et des napolitains, on ne peut éviter longtemps le sujet. La mort tient à Naples autant de place que la vie… et parfois davantage.
Étrange passion dont l’origine pourrait remonter à l’antiquité, à l’époque où Naples prit le nom de Parthénope.
Ah, mais qui est Parthénope ?
Elle est l’une des trois sirènes, trois sœurs, mi-femmes, mi-bêtes -attractives/répulsives- qui tombèrent amoureuses d’Ulysse. Mais le cruel, pour ne point entendre leur chant irrésistible et devenir jouet de leur charme fatal, colmata de cire ses oreilles et celles de ses compagnons et se fit attacher au mat de son navire. Folles de désespoir, les sirènes se suicidèrent et l’on retrouva leurs cadavres échoués sur trois rivages différents. Le cadavre de Parthénope échoua dans la baie de Naples. Une histoire fusionnelle naquit de cette rencontre.
Naples a le charme fascinant des cadavres. Certains quartiers avec leurs venelles sombres et tortueuses, leurs murs lépreux et les rencontres qu’on y fait rappellent la charogne de Baudelaire, alors que certaines places, certains lieux rappelleraient plutôt le cadavre de la blanche Ophélie encore tout palpitant de vie.
La mort est partout dans Naples. Les noms des morts du jour imprimés sur des affichettes (qui m’ont toujours rappelé des panneaux électoraux, comme si le nom inscrit en grandes capitales était celui du candidat à des lendemains qui chantent) placardées sur l’épaisse croûte d’avis délavés, dont la présence rappelle aux vivants la disparition d’un vieillard, d’une mère de famille, d’un enfant ; avis à la population : tout vivant va y passer, et dès à présent on l’informe qu’il peut compter sur ses parents en sursis pour entretenir son souvenir dans la rue où il a vécu, dans son ancienne cour d’immeuble, là où sa photo encadrée de dorures rappellera à tous sa présence passée, son caractère, son pouvoir, sa place dans la société et en quelque sorte son éternité, car mourir à Naples, c’est continuer d’exister.
Naples ne se contente pas d’être ou de vivre, Naples grouille, bouillonne, éructe, s’agite, se répand, exhale sa joie, sa colère par mille bouches édentées.
A Naples, on ne se contente pas de mourir. Le mort et le vif s’y embrassent dans une danse macabre, une lutte titanesque et terrible que seul un rituel antique, païen et fou peut apaiser. La mort à Naples est pareille au magma couvé par le volcan, la vie est fragile comme le couvercle du cratère, et chaque être en mourant déclenche l’éruption de l’impuissance humaine et de son désespoir atavique.



Belle évocation, j’avais été sous le charme puissant de cette ville, faite décombres et de lumière. Ivre de ses paradoxes. Première ville que j’ai rencontré en Italie.
J’aimeJ’aime
Merci. Décombres et lumière, je crois aussi que telle est la matière constituante de Naples. Quand il m’arrive d’en parler à de potentiels visiteurs, je leur précise toujours que Naples n’est pas à proprement parler une ville. En tout cas, pas au sens où on l’entend généralement. Pas une ville, plutôt une expérience. Merci encore pour votre site Litterama.
J’aimeJ’aime
Une ville, un sujet: la mort. Ce n’est quand même pas anodin. Les napolitains l’ont l’intégré à leur identité et vous savez bien en parler. Beau texte
J’aimeJ’aime
Merci. Le sujet est effet inépuisable.
J’aimeJ’aime