3 ou 4 bonnes raisons de lire « Oublier Mozart » d’Emmanuelle Pesqué

Elle fut la muse de Mozart & de Haydn. Voici l’histoire de Ann Selina, dite « Nancy » Storace

Qui était Ann Selina Storace, née en 1765 et disparue en 1817 ?

L’une des cantatrices les plus adulées de son temps, créatrice de Susanna des Noces de Figaro de Mozart, dont elle fut la muse et l’amie. Adorée d’Haydn, elle inspira également Salieri, et certains des compositeurs les plus prisés de l’époque lui ont taillé des rôles sur mesure et à la mesure de son immense talent comique, de son charisme scénique et de ses formidables possibilités vocales.

Qui mieux qu’Emmanuelle Pesqué se souvient aujourd’hui de la Signora Storace  ?

Après lui avoir consacré une brillante biographie (Nancy Storace, muse de Mozart et de Haydn), voici qu’elle nous offre un roman unique en son genre, tout à la fois fresque familiale, roman historique, reconstitution d’une époque littéraire et du monde foisonnant de la scène lyrique de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle, le tout saupoudré d’un zeste de suspens, car le roman gravite autour d’une épineuse question : qu’est devenu le dernier testament de la célèbre cantatrice, le document qui faisait de son fils Spencer Braham (enfant né hors mariage de Ann Selina et de son compagnon, le ténor et compositeur John Braham) son légataire universel ? Et qu’héritera, en définitive, ce fils aimé de sa mère et de sa grand-mère, mais honni par le reste de la bonne société à cause d’une faute impardonnable, dont il fut à la fois l’auteur et la victime.

Voici mes 3 bonnes raisons de lire Oublier Mozart

Raison numéro 1 : Voici l’occasion de découvrir un univers unique : celui de la scène lyrique à sa flamboyante époque, à la charnière de deux siècles. Et là, tout le talent de l’historienne se révèle. Trop de romanciers, à mon goût, choisissent de camper leur histoire dans une époque passée sans la connaître vraiment ou assez ; si bien que cela donne des histoires d’aujourd’hui racontées à la sauce d’un hier fantasmé. Emmanuelle nous immerge dans cette époque, pesant le moindre détail, elle nous brosse une plausible mentalité d’alors. Ses personnages sont des gens de leur temps, pensent et réagissent en conséquence, et c’est en cela qu’ils sont vivants et interrogent le chaos de nos croyances et valeurs actuelles.

Ensuite, je trouve à ce roman des airs d’opéra. Ce qui tombe à pic ! A l’instar de Mozart, Emmanuelle a écrit pour Ann Selina des arias qui viennent au moment crucial de l’intrigue raconter l’histoire intime de la diva. Tout cela sous forme d’un journal dans lequel la cantatrice nous fait partager la palette de ses émotions, de l’exultation à la tristesse. Ce qui rend le personnage non seulement attachant, mais réel, proche, un peu comme un vieille amie qu’on retrouverait après une très longue absence.

La raison numéro 2 est l’adresse avec laquelle chaque personnage (des plus sympathiques aux plus patibulaires) est dessiné. Cette précise délicatesse du trait permet à l’auteur de camper tous ses personnages, même les plus éphémères, comme l’imprononçable – pour moi – comte Karl von Zinzendorf und Pottendorf. Ne croyez pas qu’il soit inventé, lui ou ses semblables ! Emmanuelle nous les présentent tous, en fin d’ouvrage dans un « glossaire des personnages historiques cités. 117, je les ai comptés, oui, 117 personnages ayant existé et dont l’histoire se souvient font l’intrigue, la nourrissent ou apparaissent au gré d’une scène. Et chacun est dessiné avec la rigueur qui sied à faire émerger son principal trait de caractère. Quand je vous dis que ce texte nous téléporte dans son temps.

Raison numéro 3 qui concourt à faire d’Oublier Mozart de la très belle ouvrage : l’art de l’historienne (amoureuse de son personnage) d’agencer l’historique et la fiction. Où s’arrête la biographie, où débute l’imaginaire de l’auteur ? Les deux sont tellement intriqués que les distinguer serait réussir une gageure. Ne voir là aucun fruit du hasard, mais le résultat d’un colossal travail associé à une passion véritable. Tout est tellement naturel, et en même temps tout est tellement riche (ainsi l’éventail des raisons possibles de la disparition du testament de la Signora Storace, ainsi la genèse des sentiments des personnages) que l’on traverse ces péripéties « comme si on y était ».

et (puisqu’on sait depuis Pagnol que 4 tiers font 1)

Raison 4 : le style.

Quelle langue utiliser pour témoigner d’une époque, sinon une langue au plus près de celle de son temps ? Si le terme de pastiche est souvent employé à des fins critiques, voire péjoratives, il reprend ici toutes ses lettres de noblesse. Je crois que ce texte n’aurait pu être écrit autrement : l’auteure lui a donné la musique qui lui convient, et celle qui est propre à souligner la perspective de l’Histoire.

Nous ne pouvons pas revenir dans le passé, nous ne pouvons guère le comprendre, mais nous pouvons l’envisager comme un miroir dans lequel nous nous redécouvrons… différents, décalés, un peu étrangers à nous-mêmes. Et c’est ce miroir que nous tend Emmanuelle Pesqué. Est-ce un hasard si dans l’acte un de cet opus nous découvrons la Signora Storace à travers le reflet de sa psyché, éclairée par les chandelles de sa loge ? Je ne le pense pas. Je suis sûre, au contraire, que ce roman spirituel et hors de notre cadre quotidien est comme un jeu de miroirs qui nous inviterait à une rêverie propre à nous extraire, le temps de la lecture, à l’attraction de notre temps dont le pessimisme n’a d’égal que le cynisme.

Oublier Mozart ressuscite une société vieille maintenant de deux bons siècles, avec ses mœurs, ses valeurs et ses croyances. Une société qui ne répond certes pas aux nouveaux fantasmes galvaudés d’empathie, d’égalité, de polissage et de justice frelatée qui semblent vouloir gouverner notre temps, mais une société encore ancrée sans tabou dans ses instincts, si loin de nous maintenant qu’elle pourrait nous apparaître sauvage.

En réalité, il n’y a pas seulement 4 raisons de lire Oublier Mozart, mais une quantité.

L’interview express

Qu’est-ce qui te fait avancer dans la vie ?


Les personnes qui me sont chères. Les défis que je me lance à moi-même. Le monde tel qu’il devrait être. La note bleue à trouver. Et… une curiosité (intellectuelle) insatiable.


Quel est la chose vraiment importante que tu n’as pas encore réalisée ?


C’est un amalgame : devenir pleinement soi-même est un travail sans cesse recommencé… et, puisque nous parlons ici d’écriture, un jour (peut-être), mon « livre intérieur » (comme le définissait Pierre Bayard) pourra-t-il s’exprimer pleinement.


Quelles sont tes motivations d’écrivaine ?


L’amour de la langue française, sa musicalité, la partition que l’on peut composer grâce à elle. (Re)créer un univers… enfin, y tendre, et tenter de « traverser le miroir » grâce au verbe. Bien sûr, c’est un idéal qui s’éloigne à mesure que la plume s’en rapproche, mais ce stimulant est un puissant nectar.


Vas-tu continuer d’écrire, ou ce roman n’est-il que l’autre versant biographique de la Signora Storace ?


J’ai déjà ébauché un second roman. C’est un projet très différent, bien qu’en miroir avec ce premier opus. Se plonger dans le théâtre et le cinéma plutôt que dans le monde de l’opéra, et montrer combien l’admiration, ce sentiment si peu valorisé de nos jours, peut parfois changer une vie… Mais n’est-ce pas de toute façon le tribut que nous devons à tous les géants sur les épaules desquelles nous nous juchons ?

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