Aujourd’hui, je vais utiliser une grille de lecture pour réfléchir à propos de la société dans laquelle je vis.
Cette grille que j’ai découverte il y a plus de vingt ans me convient toujours autant ; toujours aussi utile dès lors que je cherche à y voir un peu plus clair là où les ombres s’amassent.
Bien que reposant sur le modèle de la « quête héroïque », elle peut être utilisée au quotidien pour préciser le niveau de maturité d’un individu ou d’un groupe. La théorie sous-tendue par cette grille conçue comme une échelle, est que, celui – quel qu’il soit – qui veut échapper à son conditionnement, réaliser son Soi, atteindre sa propre complétude passe par des étapes qui semblent immuables.
De l’état premier d’
Innocent,
il devient un jour
Orphelin,
passe par l’état de
Victime,
pour devenir ensuite
Vagabond,
puis
Guerrier,
et au-delà, aboutit à sa propre complétude en devenant
Alchimiste
Alors, allons-y
1 – Innocent
Avant de se soucier d’un quelconque devenir ; avant que ne sonne l’heure de l’implication dans la vie, de la responsabilisation, tout être se contente de vivre dans et de son Jardin d’Éden (période pouvant être l’enfance, mais pas seulement), dans un état d’insouciance où tout semble couler de source, où le moindre de ses souhaits peut être réalisé sans qu’il n’ait pour cela à fournir d’effort particulier. Ce monde sans souffrance et sans questionnement est alors le seul connu, et tant qu’il y reste installé, notre individu, éloigné de toute contingence matérielle ou morale sera appelé l’Innocent

2 – Orphelin
Mais, c’est fatal, un jour, quelque chose d’imprévu et d’inconnu se produit dans cette vie en suspension, et notre individu réalise alors brutalement que l’état dans lequel il était plongé n’était pas la « réalité éternelle », seulement l’éphémère produit de circonstances avantageuses. Ce choc survient sur le coup d’un événement, de la perte d’une croyance fondamentale. Hébété, notre individu comprend alors que son monde idéal vient de s’écrouler. Arraché à son cocon, le voilà projeté dans l’état d’Orphelin. Bien obligé de « faire sans », il fait l’expérience de la privation, de l’abandon, de la désillusion. Il prend conscience que tout ce sur quoi sa confiance reposait était une sorte de mirage.
Le voilà seul.

3 – Victime
Chassé de son Éden, notre individu découvre la réalité à l’extérieur de sa bulle désormais éclatée. Taraudé par le manque et la peur, il fait maintenant l’expérience de la souffrance psychoaffective. Le voici Victime de l’adversité, privé de ses habituelles ressources, désorienté, confronté à des difficultés dont il ne se sent pas responsable, contre lesquelles il a peu de prise, et qui lui semblent les pires injustices (pourquoi cela m’arrive-t-il à moi?)… tout concourt à son accablement.
Certains individus s’arrêteront à ce stade de développement et continueront leur existence durant à pleurer sur ces temps anciens et bénis, à reprocher au monde d’être ce qu’il est, et aux autres de l’avoir ainsi fait.

4 – Vagadond
Mais pour celui qui trouvera insupportable cet état de victime, décidant que « quelque chose est encore possible », il cherchera à s’en extirper pour se recréer une nouvelle bulle protectrice. Cette bulle peut être hermétique (notre individu cherchera parmi les différentes solutions possibles celles à même de lui procurer le plus de bien-être personnel) ou ouverte (notre individu cherchera alors comment sauver la planète afin qu’elle corresponde de nouveau au souvenir qu’il a de son Éden imaginaire) Dans un cas comme dans l’autre, notre individu aura recours à tous les moyens dont dispose le Vagabond. Procrastinateur trois étoiles, le Vagabond croit possible de repousser les échéances, de fabriquer de l’espoir. Il arrondit les angles blessants de la réalité en utilisant pour la décrire un langage assez flou pour la rendre impalpable. Sans le savoir, il alimente son imaginaire au prix des mille distractions offertes par la société, cautionne des mythes lénifiants telle la résilience ; curieux de tout, il « multiplie ses centres » (sic) d’intérêts »; voyage aux quatre coins de la planète ; s’adonne au raisonnement, à l’intellectualisation ou à l’opposé -ce qui revient au même- au sentimentalisme à gogo ; grisé par le flot incessant d’information, il cherche, il cherche comment se sortir de là… alors que de là, justement, personne ne sort.
Certains individus s’arrêteront à ce stade de développement et continueront leur existence en cherchant en toute inconscience de nouveaux chemins où se perdre et ainsi, leur temps compté filera.

5 – Guerrier
Parmi la foule, quelques individus lassés, voire révoltés, par les circonvolutions sans fin des Vagabonds et surtout dotés d’une forme plus acérée de l’esprit voudront échapper à cette lente désagrégation qui leur fait horreur. Ils passeront à l’offensive. Ce sont les Guerriers. Ceux-là sont prêts à mourir pour une cause qui leur semble non seulement juste, mais nécessaire. Ils y investiront leur existence et feront à leur combat le don de leur temps, de leur énergie, de leur faculté de penser, de leur bravoure, ne reculant devant aucun sacrifice personnel pour se sentir en harmonie avec leur vision de monde. Peu leur importe de renoncer au confort affiché par la société, de se retrouver en porte-à-faux, voire d’être accusés d’intransigeance ou même d’extrémisme quand ce n’est pas de pessimisme par la caste des Vagabonds. Le Guerrier ne cède pas à la pression de conformité. Il voit les failles du système, et veut révolutionner la société pour la rendre à ses vertus indispensables. Plus importante que la reconnaissance et le sentiment d’appartenance est la valeur de son combat pour lui vital.
Certains individus s’arrêteront à ce stade de développement, vivront de leur lutte et mourront sabre à la main.

6 – Alchimiste
Mais pour franchir la dernière étape et s’affranchir, il ne s’agit pas de mourir dans un combat contre l’extérieur. C’est contre l’ego et l’illusion, contre ses propres croyances, qu’il faut retourner l’arme de façon à mourir dans l’autosacrifice. Il s’agit de mourir aux luttes externes du Guerrier, mourir à la parodie de vie qu’est l’errance du Vagabond, mourir à l’apitoiement sur soi de la Victime, mourir aux blessures de l’Orphelin et renoncer à l’Éden de l’Innocent. Percer la nature des choses et de la vie en y laissant sa vieille peau. Tel est le prix à payer pour devenir Alchimiste et atteindre la maturité à laquelle tout humain est censé prétendre. A partir de cette maturité, une nouvelle réalité du monde peut-être édifiée. Et, soulignons-le, car c’est nécessaire, cette maturité ne saurait être le fruit d’aucune démarche religieuse, philosophique ou ésotérique qui appartiennent toutes trois à la sphère du Vagabond. Elle ne peut être que le fruit d’une initiation et d’un travail intérieur sans concession. La maturité n’est pas une façon plus élaborée de voir les mêmes choses, mais la destruction de toute vision antérieure laquelle, par définition, n’est autre que la trame qui a conduit le système à sa perte.

Alors, quelle société faisons-nous ?
Comme me disait hier l’apiculteur de mon hameau pour conclure un échange balèze sur la possibilité de l’existence d’une vie avant la mort : « Quand on sait ce qu’on sait et qu’on voit ce qu’on voit, on en est droit de penser ce qu’on pense ».
Allez, bon vent à tous et que la Force soit avec vous (ou la Farce, au choix).
Toi, décidément, je te kiffe.
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