On a tous en nous le souvenir d’une maison qui a marqué notre enfance. Maison de nos parents, grands-parents, de nos vacances… Maison sur la lande, abandonnée, ou hantée, dans les bois, au sommet de la colline, elle est devenue le décor de nos fantasmes, l’écrin de nos rêves et parfois de nos cauchemars.
Gamine, je passais quotidiennement devant une espèce de grande piaule à moitié délabrée. Ma mère me tirait par la main pour m’obliger à accélérer le pas. On allait toujours trop vite pour que je puisse gaffer, le temps de me faire une idée de ce qu’il se passait là-dedans. « Ce qu’ils font ne nous regarde pas. » Le seul commentaire que j’arrivais à arracher à ma mère me rendait la chose mystérieuse et troublante. Plus elle me tirait le bras, plus je voulais découvrir qui habitait là, dans ces presque ruines ; et ce qu’il s’y tramait.
Pour finir, je n’ai jamais su.
De cette bicoque, il me reste quelques images floues, des silhouettes. Ce n’était pas à proprement parler une maison, mais pas vraiment un immeuble non plus. Disons, une piaule à usage collectif.
Quand je suis repassée devant l’endroit, des années plus tard, il ne restait rien de cette image. À la place se dressait une résidence de standing au bout d’un parc luxuriant et ordonné. Et, avec le temps, j’avais remplacé mon désir de savoir ce qui se tramait derrière ces murs par celui de l’inventer en répondant moi-même aux questions :
- Qui avait été là autrefois ?
- Comment était-on passé d’une vieille piaule communautaire à une résidence de rupins ?
- Qu’est-ce qui avait été perdu ?
Et les réponses se sont imposées :
- Ceux qui habitaient là étaient des ouvriers, des gens du peuple venus des quatre horizons.
- Ce qui a été perdu, c’est une vision du monde, toute une frange de la société : la classe ouvrière.
- Quant aux circonstances dans lesquelles ce monde s’est effondré, c’est le cœur de cette histoire où tout n’a pas été inventé.
Le temps des cerises est une histoire de vengeance. Depuis des lustres, je voulais mettre en scène une histoire sur le sujet.
Venger vient du latin vindicare : réclamer en justice ! La vengeance est notre dernier recours quand la peine est si grande que nous ne trouvons pas en nous les ressources pour l’apaiser, et qu’à l’extérieur, la volonté sociale qui pourrait rendre justice est sourde et aveugle… voire complice.
Louise est l’illustration de cette forme de désespoir. Pendant quarante ans, elle a attendu la justice, avant de comprendre qu’elle seule peut rééquilibrer les comptes. Louise entre dans la peau de Némésis non seulement pour elle-même et sa famille, mais pour tout un groupe (les habitants de la Bambolina) et même, au-delà, de la classe ouvrière tout entière.
J’ai toujours voulu observer un rapport le plus étroit possible entre la mythologie grecque et la série Blues. Le thème de la vengeance apparaît dès le premier opus Quelqu’un de son sang, mais, dans cette histoire, c’est la fatalité qui tient le premier rôle, la vengeance ne venant qu’ensuite comme un outil du Destin.
Le temps des cerises – Blues 4 est entièrement dédiée à Némésis -la déesse de la vengeance.

La vengeance est une des thématiques majeures de la mythologie et de la tragédie grecques, lesquelles, vous le savez, me tiennent particulièrement à cœur. Le socle de notre pensée, de notre philosophie en est imprégné. Jusqu’au Pain & Vin du Christ qui n’est qu’une transposition de Déméter et Dionysos. Le monde grec (à l’origine du nôtre) est le théâtre d’une perpétuelle vengeance. Celle des dieux envers les hommes, celle des hommes envers les hommes, des dieux envers les dieux. Pandore fut l’instrument de Zeus pour se venger des hommes. Les colères d’Héra — l’épouse de Zeus —, ses délires de jalousie et ses innombrables vengeances rythment la vie sur l’Olympe. La vengeance de Gaïa envers son mari Ouranos, perpétrée par leurs fils, les Titans, aboutit à l’émasculation du père. Vengeance d’Oreste qui occit sa propre mère, Clytemnestre, afin de venger le meurtre de son père Agamemnon. La mythologie et le théâtre grecs sont un catalogue des vengeances les plus sidérantes. Reste à savoir pourquoi.
La vengeance de Louise lui permettra-t-elle de retrouver une part de justice dans ce monde ? C’est la question que pose Le temps des cerises dont je souhaite que vous appréciiez la lecture.

Ce thème de la vengeance me fait beaucoup réfléchir car il me semble que l’on ne peut jamais véritablement assouvir une vengeance. Le mal que l’on fait à travers la vengeance n’est jamais à la hauteur du préjudice subi.
J’aimeJ’aime
Bonjour Anna ! Oui. En effet. C’est bien la raison pour laquelle cette novella mise en chantier début 2017 n’a vu le jour qu’en fin d’année dernière. 4 ans de rigodon… jusqu’à ce que je trouve le ton, l’équilibre entre les choses, les personnages, le déroulement et surtout une fin digne.
Merci pour votre commentaire. A bientôt.
J’aimeJ’aime
Aujourd’hui 6 h 30, petit matin d’une journée de canicule qui s’annonce. J’ouvre la fenêtre pour emmagasiner un peu de cette fraîcheur éphémère et les vibrations de John Coltrane s’y échappent. La table est mise pour lire Blues 4, Le Temps Des Cerises.
Comme la musique, l’ambiance pénètre, l’amertume de Louise devient mienne. Sur le fil du rasoir, ainsi vivent les prolos. Du grand équilibrisme, demandez aux juifs ou aux noirs, ils vous diront que ça tient à peu de chose. Mais, il y a la force bestiale qui fait braire Bambolina au nez des calamités. Et puis, l’aveuglement des bourgs, c’est systémique.
J’aimeJ’aime