Il a plu, une pluie de mousson, sur le terminus des cars d’une grande ville d’Afrique. Le stationnement et les chemins qui y mènent sont en terre battue. L’eau qui a versé du ciel à peine trente minutes plus tôt a rempli les nombreux nids de poule. Aux creux des trous, une vase imprégnée des détritus jetés par les badauds commence à fermenter et dégage une odeur putride. La chaleur est palpable, l’humidité est à couper au coteau, la respiration est pénible, ma chemise est à tordre. Et la vie trépidante des marchands ambulants et des passagers est à peine ralentie, il fait chaud et l’on s’en fout. Il y a qu’à boire, ma sœur ! Ce qui ne tue pas rend plus fort !

Le pare-brise de mon camion est l’écran de mes souvenirs heureux. En arrière-scène défile la forêt boréale, monotone comme la pluie d’automne. Les souvenirs sont comme une bûche qu’on dépose dans l’âtre, ils réchauffent le cœur et son odeur… l’âme. Comment faire pour écrire à des milliers de lieues de son sujet ?
Comme tu sais si bien le faire, Catarina, ma sœur : il faut chérir ses souvenirs, les bichonner, les idéaliser, les travestir aussi. Mémoire gravée, effilée cent fois, mille fois jusqu’à ce qu’elle devienne tranchante comme la lame du katana.

Voici, grande sœur, la recette d’auteur que j’essaie humblement de suivre : Prendre de grosses poignées de souvenirs, y mettre le ferment de la solitude, laisser gonfler. Pour accélérer le processus, ajoutez les enzymes de l’ennui. Puis laisser divaguer jusqu’à ce que le tout devienne chimère. Pétrir la pâte ainsi obtenue et façonner de la manière désirée. Éviter les gâteaux trop mielleux, les décorations narcissiques, ethnocentriques, messianiques. Laisser monter en bouche les saveurs subtiles, les évocations fines, tout est question de dosage. Bref, cuisiner santé…
Alors, l’Afrique se reconstruit sur des routes bordées de sapins. Du bouclier canadien, aux prairies, aux rocheuses, la route transcanadienne est longue. Elle favorise l’émergence des pensées erratiques. Il ne reste plus qu’à les rendre cohérentes.
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Guy Saint-Onge signe un texte « L’envers de l’Or Vert » à lire ici

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