#Écrire à propos… du surnaturel

Voilà, le plus dur est fait. Ton roman est ficelé, pesé et prêt pour la livraison. Tout y est : somptueuse couverture, quatrième à tomber à la renverse ; j’te cause même pas du contenu aux oignons grelots, corrigé et recorrigé. Reste plus qu’à…

…trouver son genre et son sous-genre.

Roman, oui, d’accord, mais ensuite ?

Évidemment, si dès le départ, tu t’es fixé comme but de publier un Feel-good, ou une Romance, ou un Polar ; si ton histoire se déroule dans le futur, ou dans un passé daté, voire dans un monde totalement imaginaire, la tâche sera aisée. Idem si tu as créé un espion, ou un vampire, ou si tes primo-lecteurs sont tous morts de rire en lisant ton premier paragraphe. Bref, si avant même de poser les premier mots de ton histoire tu avais déjà décidé de son genre littéraire, le positionnement de ton livre se fera the fingers in the nose. Une simple formalité.

Mais si, au contraire, pour écrire ton histoire, tu es parti de la vie… La vie, mais oui, tu sais bien : le vivant, la substance mystérieuse, la destinée, le hasard, le karma, la Providence, blablabla, ce truc inouï, grouillant, imprévisible, étonnant et par nature hautement improbable, alors là… alors là… Diantre und diabolus !… C’est la grosse panade pour trouver dans quelle rubrique de recherche classer ton nouveau livre.

Dans quelle rubrique classer cette image et toute l’œuvre d’Edgard Hopper?
Qu’y a-t-il de si fascinant dans ce plan filmé par Mizoguchi ?

Tiens, par exemple, un de mes bouquins, le premier a être sorti « Femme au bord du Monde« , eh bien, je n’ai toujours pas trouvé dans quelle rubrique le coltiner.

Bon, d’accord, c’est de la Fiction, mais ça reste vague, il faut préciser. Action et aventure : non. Ni Afro-américain ni Chrétien, pas de Crime, pas de Dystopie ; Érotique ? nan, désolée ; Conte de fée… mais tu m’as vue, oui ? C’est pas non plus de la Fantasy. Ah, tiens, Fantôme. Il y a bien, dans le roman, une histoire qu’on pourrait qualifier de Fantôme. Mais si je classe « Femme au bord du Monde » dans cette rubrique : bonjour les dégâts ! because le fantôme de l’histoire n’est pas ce genre de fantôme, il est de l’ordre de la production de l’inconscient, de l’hallucination perceptuelle. Bon, Fantôme ne colle pas. Horreur, non ; Humoristique, pas du tout et Juif, macache. Ah ! Réalisme magique. Pffff, je ne comprends même pas de quoi il s’agit. Laisse tomber. Occulte et Surnaturel : voilà, bingo. Sauf que non, Surnaturel oui, mais Occulte, pas du tout. Il resterait bien l’option Visionnaire et Métaphysique, mais franchement, je vois pas mon bouquin dans cette rubrique. Chamanisme ! Mais c’est bien sûr. L’autre femme de l’histoire n’est-elle pas un personnage inspiré de Roberta Rivin (galeriste et praticienne du chamanisme) ? Et Julia ne trouve-t-elle pas un apaisement en souscrivant à cette pratique Traditionnelle ? Oui, sauf que son expérience n’a rien à voir avec les exploits mirifiques d’êtres hors du commun, qu’elle ne se déroule pas au cœur de la forêt amazonienne ni dans les steppes d’Asie Centrale, et qu’en définitive, Julia ne devient pas une Initiée capable de prédire toutes les dates de prochains déconfinements… Julia reste Julia.

Comme cette femme reste cette femme (Mizoguchi)
Comme cette femme (Edgard Hopper)
Comme cet homme et ce chat…
(Chris Marker)

Bon, pour finir, je vais m’arrêter à Fiction Général et je suis bien embêtée.

« Femme au bord du Monde » n’entre dans aucune des cases prévues. En définitive de quoi parle ce roman ? Après le décès de son mari, Julia se retrouve dans un état étrange et déroutant qu’il m’est d’autant plus aisé de décrire que je le connais bien.

C’est comme si l’on avait quitté le monde ordinaire pour errer dans une autre dimension où aucune des cartes habituelles ne permet de se repérer. Dans cette dimension, il n’y a pas de joie, mais aucune tristesse, seulement un sentiment de plénitude, d’accomplissement nostalgique. Il n’y a pas de peur non plus. À la place, une espèce d’effroi tellement incongru qu’il en devient irréel. Le passé et le futur n’ayant plus aucune espèce d’importance, la notion de temps a disparu. La vie éclatante, pure et merveilleuse est omniprésente, on la retrouve autant chez un être animé, que dans une plante, dans le vent ou la mer, dans les pierres, dans l’air et aussi dans des visions qui vont jusqu’à se manifester sous forme d’esprits.

Et si l’inconscient était l’esprit ? (Les ailes du désir. Wim Wenders) (Solveig Dommartin)

Pendant l’écriture de « Femme au bord du Monde », je ne me suis posé à aucun moment la question du genre. J’écrivais l’histoire qui me semblait la plus juste, la plus fidèle à la vie.

Eh oui, il en est ainsi : la vie ne se décline pas en catégories, et je n’y suis pour rien si elle s’abouche au surnaturel.. À ce propos, comment définit-on le surnaturel ? « Qui semble échapper aux lois naturelles connues. Qui semble trop extraordinaire, trop grand, trop intense pour être simplement naturel. »

Il est un fait que si l’on prend la chose au pied de la lettre, « Femme au bord du Monde » est typiquement une histoire surnaturelle.

Mais il faut croire que de nos jours le surnaturel est l’apanage des revenants, des vampires, des maisons hantés, de la magie. Le lecteur s’attend à ce que les événements dits surnaturels se retrouvent dans des histoires spécifiquement surnaturelles. Autrement dit, il ne peut pas être à la fois dans le monde dit réel (représenté en l’occurrence, dans « Femme » par la nature) et passer subitement dans une expérience non conforme à l’idée qu’il se fait de la réalité. Combien de fois ne m’a-t-on pas dit j’aime votre histoire, jusqu’à ce que le fantôme apparaisse. Ensuite, j’ai eu du mal à suivre, mais j’ai persévéré parce que c’est très bien écrit.

Autrement dit, il faut choisir. Autrement dit, il ne faut pas surprendre le lecteur. Autrement dit, le lecteur moderne sélectionne ses lectures non pour ce qu’il pourrait y trouver de surprenant, d’inattendu, voire d’hermétique, mais d’après la rubrique dans laquelle il a été classé. Les lecteurs de Fantôme veulent du revenant grand teint. Les lecteurs de Chamanisme veulent pouvoir s’identifier à des gens faramineux menant des expériences faramineuses. Les lecteurs d’Occulte et Surnaturel s’attendent à décoller de ce monde et voyager dans les sphères inouïes de la Magie et du Merveilleux. Et si, de mon point de vue et de celui de pas mal de mes lecteurs, « Femme au bord du Monde » est une plongée dans l’indicible, il n’appartient à aucun de ces univers en les englobant pourtant tous. J’ai été tentée à une époque par un classement en Fantastique. Mais il n’y a rien de tel dans « Femme au bord du Monde », à moins qu’on ne parte du principe que la vie, cet étrange phénomène, si bref à l’échelle de l’individu, soit entièrement à classer dans le Fantastique. Mais pour accepter cette idée, il faudrait se faire de la vie et de la littérature une idée qui est devenue étrangère à l’époque que nous vivons.

Twin Peaks – Saison 2 – David Lynch, lequel sait mieux que personne créer des images où rien n’est normal dans la normalité…

Nous sommes au 21e siècle : le livre est un marché articulé en segments. A chaque segment sa clientèle spécifique avec laquelle les outils marketing doivent communiquer sans filtre. Il faut pouvoir analyser, raisonner, projeter, planifier l’action commerciale. Alors que les lecteurs ont été éduqués à chercher leurs lectures selon des catégories, nombre d’écrivains se classifient d’eux-mêmes en auteur de FF, auteur de séries, de polar, de feel-good, de romance, de thriller, etc.

On ne l’avait pas vue venir celle-là, hein ? Mais on est dedans !

et après le Surnaturel, le Crime avec Chris Simon : https://chrisimon.com/ecrire-a-propos-du-crime/

5 commentaires sur « #Écrire à propos… du surnaturel »

    1. Réflexion tout à fait d’actualité pour moi aussi… « Roman historique », qu’on disait. Mouais. Mais plutôt ambition tendance « littérature blanche » et ni polar, ni « feel good », ni aventure, ni romance, ni saga. Juste une histoire avec des gens gens qui se trouvent vivre dans le passé, dans un contexte spécifique, ce qui explique leurs problèmes et cette histoire… Comment je vais cataloguer ça chez Amazon, moi, une fois que j’aurai fini de l’écrire ?

      Merci pour ce coup de gueule salutaire, chère Catarina ! Et merci pour ce #ecrireàpropos auquel je viens de rajouter un épisode (indiqué dans le lien).

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      1. Je vais mener une petite enquête sur ces référencements. Suzanne Marty (une de nos très chères collègues) m’a fait parvenir un lien. Je vous le transfère par mail.

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