Couverture du roman noir "Le temps des Cerises" de Catarina Viti éditions 50/50
Chronique

Le pouvoir d’une chronique de livre

Il y a des textes qui glissent, et d’autres qui s’impriment. Des lectures qu’on oublie, et d’autres qui nous traversent. Ce retour, publié voici quelques années, sur Le Temps des Cerises est de ceux qu’on n’oublie pas. Non seulement parce qu’il fait honneur au texte, mais parce qu’il restitue ce que la littérature peut, quand elle circule d’un cœur à l’autre, sans filtre ni travestissement. Un témoignage sensible, dense, incarné, qui rappelle qu’écriture et lecture sont des actes d’engagement. Et que l’émotion, la vraie, ne vient pas de phrases bien faites, mais de ce que les mots ont su garder du chaos. Merci au lecteur, merci à la vie.

Quarante ans plus tard…

Deux femmes se retrouvent au pied d’un phare. Ce rendez-vous est pour Louise l’occasion de se venger du tort causé à sa famille par Pierre Altier, le père de Marie-Odile. Mais la mort d’un pourri peut-elle réparer toutes les vies qu’il a contribué à détruire ?Le temps des Cerises est l’histoire d’une vengeance, c’est aussi l’histoire de la destruction d’un mode de vie, d’une époque et d’une frange de la société : la classe ouvrière.

Un matin, la radio annonce l’assassinat de Pierre Altier. Et Louise Mercier de se souvenir.

Pierre Altier, un notable de Saint-Roch dont le nom de famille n’est pas anodin.

Pierre Altier, le père de Marie-Odile, l’ancienne condisciple de Louise. Celle-là même qui quitta l’école du coin après le décès de sa mère Rose d’une crise cardiaque, pour s’en aller dans un pensionnat chic en Suisse, puis vers une vie dorée sur tranche. Alors pour Louise, sa rivale, son « ennemie de classe » (dans les deux sens du terme) qui n’a pas eu la « chance » de Marie-Odile, c’est la remontée des souvenirs — ou peut-être bien les enivrantes et effrayantes effluves de la vengeance, qui, comme on le sait, ne se déguste pas toujours froide, mais congelée parfois.

Dans un Sud qui n’a rien des cartes postales en toc pour touristes de passage, un Sud qui n’a qu’occasionnellement un aspect d’« aquarelle. La mer, le ciel, le soleil en pente douce, éventuellement quelques bateaux, une bande de mouettes », c’est au travail d’une mémoire retissant avec minutie les fils que les Parques ont tranchés que nous convie Catarina Viti. Dans une prose acérée qui épouse au plus vrai les tourments des protagonistes, les voltes-faces rances de la mémoire, les silences des faits. Modulant à pleine voix, chuchotant l’indicible, rauque parfois mais toujours juste.

Histoire de vengeance, certes ; mais Némésis est-elle celle que l’on pense ? Et venger qui ? ou quoi ? Cela en valait-il même la peine ? La « plaie ouverte » de Louise retentit ainsi, tout du long d’un récit qui lancine, comme dans la célèbre chanson qui donne son titre à cette novella, non pas un printemps serein et bucolique, mais la douleur d’une irrémédiable défaite. Dans ce récit reconstructeur — mais il ne suffit pas de dire les choses pour qu’elles soient réparées : « … j’ai l’impression qu’en définitive un ennemi mort, ça donne par-dessus-tout envie de lui filer des coups de pieds pour le ramener à la vie et l’obliger… mais l’obliger à quoi ? A nous dédommager, nous rendre ce qui de toute façon est perdu ? Tout ce que cette nuit blanche m’avait appris, c’est que la mort d’un ennemi n’a qu’un seul effet : effacer la dette et vous laisser seul avec la haine intacte que vous ne savez plus où poser. La mort nous prend vraiment pour des cons. » —, les vivants ne savent pas toujours tout.

Alors les Parques rebrodent la tapisserie, au petit point de croix. Revivifiant une enfance où ces familles venues de toutes parts se regroupent à la Bambolina, maison communautaire, maison-vie, maison-cœur ; où les pêcheurs Napolitains, l’électricien, l’ancien mineur de fond évoquent Neptune, Jupiter ou Hadès aux yeux de leurs progénitures ; où les mères, éternelles nourricières ou Antigones désespérées, forment la colonne vertébrale d’un récit âpre et goûteux, avant la dispersion fatale et la déliquescence finale. Ode à la résilience —malgré tout !—, à la force des liens sociaux ou familiaux, à une lutte des classes où les vaincus ne sont pas en faute, Le temps des cerises est une évocation crépusculaire gorgée de soleil, débordant d’une désespérance gouleyante. Fouaillant de satanées techniques narratives en leur portant un dernier coup d’estoc… et de taille !, cette novella ranime pour un temps un cadavre terriblement vivant. Pour amateurs de Pasolini comme de Fellini.

Emmanuelle Pesqué

L’original de la chronique

Le temps des Cerises a maintenant été publié au éditions 50/50 et il est distribué par monBestLibraire


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