Articles

Pourquoi un auteur a-t-il tant de mal à se relire ?

Vous pensez que votre texte est né tel qu’il devait être ? Vous pensez que l’écriture est un acte spontané, un élan intérieur, une vision qui s’impose ? C’est normal.
La plupart des auteurs autoédités pensent ainsi. Pour eux, l’écriture est un phénomène presque mystique. Il y a l’inspiration qui leur dicte l’histoire. Il y a l’acte d’écrire, qui se produit sous une impulsion incontrôlable. Et puis il y a le texte – un reflet de leur âme, un miroir parfait, un phénomène quasi sacré. Sauf que… non. Écrire n’est pas recevoir un texte, c’est ARBITRER. DÉCIDER. FAÇONNER. Écrire, c’est CHOISIR. Un auteur accompli sait qu’il n’y a jamais UNE seule manière de raconter une scène, UNE seule façon de construire une phrase. Et s’il est capable de se relire avec lucidité, c’est parce qu’il sait qu’il aurait pu écrire autrement.

Lire la suite: Pourquoi un auteur a-t-il tant de mal à se relire ?

Un des principaux avantages à être édité (dans une véritable maison d’édition, cela s’entend) est de pouvoir bénéficier d’un accompagnement éditorial. Et tous les auteurs le savent : si un éditeur propose un contrat pour un manuscrit initial, ce n’est que le manuscrit final qui passe en publication.

Entre ces deux phases, l’auteur est invité à revoir son texte, et parfois de fond en comble quand, seul, le thème (ou la personnalité de l’écrivain) a décidé l’éditeur à investir de l’argent dans l’ouvrage. Et si, d’aventure, l’écrivain n’était en pas mesure de finaliser ce travail, les parties ont le choix entre résilier le contrat, ou confier la réécriture à un professionnel.

L’auteur autopublié ou autoédité ne bénéficie pas de ce service. Pour avoir du feed-back sur son œuvre, il ne peut se fier qu’à des bêta-lecteurs (pas toujours professionnels) ou des commentaires de lecteurs (pas toujours fiables).

Il est possible, bien sûr, de payer pour obtenir le service d’une bêta-lecture. Inutile de préciser qu’il faut trouver la bonne personne qui a non seulement les compétences pour analyser un texte dans son ensemble, repérer les moindres manquements, savoir intervenir avec précision et doigté, et proposer un accompagnement personnalisé, car, et le problème est bien là : l’auteur qui diffuse un texte a donné son maximum, autrement dit, il est non seulement dans un état de fragilité, d’hypersensibilité, mais ce qu’il attend — et c’est ainsi qu’il l’exprime — c’est de l’empathie. Il veut être rassuré et flatté. Or, il est impossible de travailler un texte dans ces conditions. La seule solution est que l’auteur lui-même puisse se relire et prendre conscience de son niveau d’incompétence.

La première solution consiste à lire des classiques. Ils sont nombreux, les classiques, dans tous les genres, toutes les langues. Le domaine public nous offre des ressources infinies, et le numérique met la plus belle bibliothèque du monde gratuitement à portée de clic, que l’on habite une capitale occidentale, ou un pays sans ressources, comme le sont certains pays d’Afrique. Plus personne ne peut dire de nos jours : je n’ai pas accès aux grands textes.

À côté des classiques, l’auteur doit également se constituer un répertoire d’auteurs récents. L’idéal est de lire toute la production d’un même écrivain — ou au moins plusieurs de ses ouvrages — de manière à comprendre comment se construit une œuvre.

Maintenant que l’auteur dispose d’une référence après avoir lu minutieusement tous ces textes merveilleux, s’efforçant d’en comprendre la musicalité, l’élégance, la précision de la langue, la richesse des dialogues, le miracle de la construction, la mesure dans le dit et le non-dit, bref, tout ce qui fait la Beauté de la littérature, il se doit de plonger dans la très mauvaise littérature. Autrement dit dans l’autopublication.

Et de la même manière qu’il a admiré la beauté, il se doit à présent de contempler la laideur : une langue vulgaire, des phrases bâclées, des mots mal choisis, du « raconté », du mal ficelé, des intrigues pataudes, une psychologie de bazar, des personnages vus et revus, bref, tout ce qui fait une « littérature » qu’on ne saurait même pas qualifier « de gare ».

Il est très difficile de prendre du recul par rapport à son œuvre, au moins dans le temps où celle-ci est produite. Difficile, mais pas impossible. Ce qu’il faut, avant toute chose, c’est prendre conscience qu’on ne sait pas. Et la façon la plus simple que j’ai trouvé de sortir de ma propre illusion d’autrice a été de lire les mauvais textes en m’efforçant d’identifier ce qu’ils avaient de si magnifiquement raté, tout en gardant à l’esprit que mes textes souffraient très certainement des mêmes défauts.

Quand on a constitué un recueil de balourdises littéraires, on peut alors s’attaquer à ses propres textes et les passer au détecteur.

Nous venons d’identifier des filtres qui nous empêchent de nous relire

  • Le manque de culture, un trop faible bagage littéraire,
  • Une approche non constructive de nos pairs,
  • Une carence d’auto-évaluation.

Nous allons maintenant envisager un autre filtre : le texte figé.

Là aussi, je fais parler mon expérience. Lorsqu’on signale à un auteur que quelque chose ne va pas dans son texte, il se rebiffe la plupart du temps, et se défend (ce qui est son droit, mais ce n’est pas ainsi qu’il progressera). Je me suis longtemps posé la question : « pourquoi être tellement sur la défensive ? ». Voici ma réponse : l’auteur se sent menacé quand il n’a pas autre chose à proposer. La défensive est la marque de son manque de souplesse. En fait, l’auteur a peur pour la bonne raison que, selon lui, son texte est « parfait », comprenez : cette version est la seule et unique qu’il puisse envisager.

Voilà le problème : l’auteur n’a pas d’autre choix.

Eh bien, non, cher auteur, il n’y a pas qu’une seule façon de dire une chose, c’est même tout l’inverse : il y a une quantité infinie de manières de dire la même chose. Et c’est justement l’art de la littérature.

Mais aussi longtemps que vous produirez du texte figé, vous serez dans l’incapacité totale de vous relire.

Voici la solution : essayez d’admettre que chacune de vos phrases pourrait être écrite de cinq (ce qui est très peu) façons différentes. Et lorsque vous êtes en phase d’écriture de votre texte, demandez-vous simplement quelles seraient les quatre autres façons d’écrire cette phrase. Et choisissez la meilleure !

C’est parce que vous n’avez pas de choix que vous ne savez pas vous relire.

Je pense que vous qui lisez cet article sans être encore rompu à l’exercice, vous dites qu’en voilà une idée farfelue ! Si chaque fois qu’on écrit une phrase, on doit émettre quatre autres versions possibles, où irons-nous ?

Eh bien, au début, il est clair que vous risquez d’être un peu retardé dans votre rythme de production. Mais voilà, c’est ainsi. Dites-vous bien que c’est ainsi que font les écrivains : ils n’écrivent pas comme cela leur vient : ILS ARBITRENT ET ILS CHOISISSENT. Lorsqu’ils soumettent un texte à leurs lecteurs, c’est qu’ils en ont soupesé chaque mot, qu’ils ont choisi chaque phrase parmi d’autres possibles et qu’à la fin, ils peuvent se dire : « De toutes les manières que je connais d’écrire cette phrase, celle-ci me semble la plus adéquate et la plus belle ».

Si vous étiez retardé dans votre rythme de production, serait-ce un si grand problème? Serait-ce seulement un problème?

Lorsque vous serez rompu à l’art d’établir les choix stylistiques les plus judicieux pour votre texte, vous découvrirez que vous pouvez répéter le même exercice au niveau de la narration. « La vie n’est pas un long fleuve tranquille » dit-on, et ceux qui vivent témoigneront : la vie est le plus souvent un immense bazar, où les bons deviennent moins bons et d’autres méchants, ou les projets les mieux ficelés partent en vrillent, bref, un récit farfelu, décousu, imprévisible où le futur essaie parfois de prendre la place du présent, où le passé débarque même quand il n’est pas invité. Alors, pensez-vous vraiment qu’il n’y ait qu’une seule manière de raconter votre histoire ? Même question à ce niveau : relisez votre texte et demandez-vous de quelles autres manières vous auriez pu mettre en scène votre récit. Ici encore, tout est question de choix.

Voilà, vous avez compris le système. Je crois bien que Stephen King a une formule pour ces manières de dire ou de raconter auxquelles l’auteur est tellement attaché : « les petites amoureuses ». Comment vos personnages pourraient-ils être autrement dépeints : qu’est-ce ce qui pourrait changer en eux ? C’est à force de chercher ce qui peut changer chez un personnage que vous trouverez ce qui, au contraire, est immuable : son essence. Aucun lecteur ne rechignera jamais sur l’essence d’un personnage, seuls les détails inutiles, les stéréotypes, les facilités agacent. Si un lecteur vous fait une remarque sur un personnage, c’est que vous ne l’avez pas travaillé à l’os.

Plus vous créerez de choix au niveau de votre écriture, plus vous aurez la possibilité de vous relire. Vous ne savez pas vous relire, car vous n’avez pas de choix. Vous êtes prisonnier de votre premier jet, et vous pourriez le relire cent fois, ce sera toujours le même texte que vous relirez : celui qui plaît à son auteur parce qu’il est incapable d’en concevoir un autre. En fait, vous croyez seulement relire votre texte, alors que c’est vous-même que vous relisez. Vous et vos filtres inconscients qui s’érigeront toujours entre votre écriture et votre lecture.


En savoir plus sur Catarina Viti conseils

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

1 réflexion au sujet de “Pourquoi un auteur a-t-il tant de mal à se relire ?”

  1. Analyse pertinente. Elle va au-delà de la question de la technique littéraire – indispensable certes – pour proposer une approche psychologique sur les blocages de l’auteur. Les pistes concrètes ici listées démontrent une bonne connaissance du problème et ne font pas dans la complaisance.

    Enfin, oui passer par un professionnel de la relecture n’est pas une option, sauf à savoir regarder en face sa nullité.

    J’aime

Répondre à deliciousgenerously9abeb6e557 Annuler la réponse.