La statue de la Liberté, un drapeau de la révolution en berne, une pile de livres : autoédition une révolution avortée
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Autoédition : une révolution avortée (?)

Née d’une aspiration profonde à la liberté, l’autoédition aurait pu être un nouveau territoire pour l’expression littéraire. Vingt ans plus tard, qu’en reste-t-il ?

Le premier argument ayant présidé au succès planétaire de l’autoédition est la liberté. Le courant né aux Etats-Unis vers les années 2006, propulsé par les outils numériques est une révolution dans le monde de l’édition : le triomphe du DIY. Pourquoi se soumettre encore aux diktats des éditeurs quand on peut faire tout soi-même, connaître le succès grâce au Web, se passer de toute la chaîne du livre et remporter la mise ?

La liberté était là. Qu’allait en faire les écrivains ?

Les raisons généreuses qui ont propulsé l’autoédition :

Au moment de l’essor du phénomène, il y a une vingtaine d’années, l’autoédition est apparue comme le remède au carcan de l’édition classique. Une édition (en France) principalement germanopratine, éclairée par quelques intellectuels se tenant comme les maîtres de la destinée des écrivains adoubés par leur soin. Une histoire de famille, de consanguinité.

Enfin de l’oxygène ! Le début du XXIe siècle restera caractérisé par l’introduction massive du numérique dans la vie quotidienne, par un bouleversement total du rôle de l’autorité, une inversion des pyramides. Notamment dans le monde littéraire, chez ceux qui avaient jusque-là tenu la bride (ceux-là mêmes qui n’ont « rien vu venir » parce que confits dans leur certitude d’être l’unique référence), la bombe autoédition éclate et change la donne.

Un vent de liberté souffle alors sur un monde élitiste, où la seule réponse jusqu’ici est le mépris.

Les premiers à en prendre conscience de cet appel d’air sont les auteurs eux-mêmes, ceux que l’édition avait négligés ou refusés, et derrière eux, tous ceux qui n’avaient encore jamais osé espérer. Les voici qui se constituent en groupes derrière quelques leaders autoproclamés, et investissent les réseaux sociaux. Suivent les plateformes d’écriture et de lecture en ligne. Le numérique ouvre non seulement la voie de la publication spontanée, mais aussi de la gratuité.

Dans ce contexte, quelques textes finissent par crever le plafond de verre : Aurélie Valognes pulvérise les ventes en quelques semaines avec « Mémé dans les orties » un feelgood entièrement DIY par elle-même et son mari. Agnès Martin-Lugand fait péter le barrage avec « Les gens heureux lisent et boivent du café ».

Nous sommes au début des années 10. Un temps où vont coexister deux courants : celui du partage, de l’entraide, de la générosité, de l’écriture plaisir, et son opposé : celui du commerce.

Dix ans après le coup d’envoi, il n’est plus question de s’autoéditer pour s’exprimer, mais pour vendre. Le commerce parallèle à l’édition classique est né. S’il est éclaté, il est cependant nettement plus juteux, puisqu’un sondage très sérieux annonce 12 millions d’écrivains en herbe.

Les raisons mercantiles qui ont transformé l’autoédition

Le marché est trop beau. Des millions de Français ont un manuscrit dans leur tiroir. Et autant rêvent de devenir riches et célèbres grâce à ce texte. Riche et célèbre comme Aurélie, Agnès, Mélissa… Devenir millionnaire grâce à son passe-temps favori. Oui, mais êtes-vous sûr de proposer le livre qui convient, comme il convient ? La machine commerciale est lancée, elle va vite se transformer en un véritable rouleau compresseur lequel, avec une acuité certaine et beaucoup de duplicité, va jouer à pointer toutes les zones de doute d’un auteur, voire en créer de nouvelles.

  • Êtes-vous sûr de savoir écrire votre histoire ? Dans le doute, suivez des master class.
  • Êtes-vous sûr d’écrire correctement ? Dans le doute, faites corriger votre texte.
  • Êtes-vous sûrs d’avoir atteint votre but avec ce manuscrit tel qu’il est ? Dans le doute, soumettez-le à notre expertise.
  • Êtes-vous vraiment sûr de savoir mettre en page votre texte comme le ferait un professionnel ? Dans le doute, nous le faisons pour vous.
  • Êtes-vous sûr de savoir réaliser une couverture qui fait vendre ? Non, n’est-ce pas. Pourtant, la couverture est la première chose qu’un lecteur voit de votre livre, son rôle dans l’activation de la curiosité puis de l’impulsion d’achat est primordial. Aussi, confiez-nous la réalisation de cette couverture.
  • Êtes-vous sûrs de savoir vendre votre livre ? Non, n’est-ce pas. Et d’ailleurs, la vente n’est pas de votre ressort. Achetez nos outils : un pitch, de la publicité, des salons virtuels, des salons du livre, des concours, etc.

Et derrière tout cette toile bien tendue, toujours quelques destins de rêve… des hommes et des femmes (des femmes surtout) comme vous, qui ont osé et qui sont revenus riches et célèbres en auto éditant leur histoire.

Qu’est devenu le vent de liberté qui avait permis l’essor de l’autopublication ?

Aujourd’hui, les livres se ressemblent. Parce que les auteurs ont suivi les conseils qu’on leur a prodigués dans des stages, des master class, des formations en ligne, ou diffusés gratuitement sur les blogs des auteurs-stars, dans, il faut bien l’avouer, une démarche de branding.

Afin d’en fluidifier la commercialisation, la littérature a été compartimentée en secteurs : romance, new romance, romance contemporaine, romanstasy, etc. Fantasy, SFF, Thriller… Si vous voulez capturer un lectorat, il vaut mieux être précis et sélectionner la niche qui fonctionne.

Les couvertures répondent à des codes (codes de la romance, du thriller, etc.) et se ressemblent toutes, en définitive, parce qu’on ne peut pas renouveler à l’infini le même thème.

L’écriture ne doit pas dépasser un certain seuil de complexité. De toute manière, l’IA vient de remporter haut le câble le marché de la correction de textes, apportant au langage une précision indéniable avec son corollaire : une standardisation qui se repère à des kilomètres, même avec les nouveaux apprentissages de langages « cool ».

Quant au scénario, à l’élaboration des personnages, d’offre commerciale en offre commerciale, on en est arrivé aujourd’hui à un tel raffinement qu’ils ne réservent plus aucune surprise à force d’en chercher.

Répétons la question :

On aurait pu penser, croire, espérer que ce nouvel outil ouvre la porte à des tentatives littéraires nouvelles, de l’expression artistique hors normes, puisqu’on peut tout se permettre. Je ne sais pas moi : faire l’expérience d’un livre de 320 pages constitué de la même phrase. Des choses drôles, des choses folles, des choses complètement inattendues, des formats inimaginables chez les éditeurs, des mises en page révolutionnaire, des textes de la marge, des histoires à se réveiller debout, des poésies éclatées, des mots en vrac à remettre dans l’ordre, un grain de folie… On aurait pu imaginer des textes viscéraux, des journaux de corps malades, des fresques hallucinées, des romans illisibles mais nécessaires.
On aurait pu penser que le chaos accoucherait d’un peu d’inédit, de bizarre, de vivant.

Ben non. 


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