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Un écrivain peut-il se contenter de lire comme un lecteur lambda ?

Vous pensez savoir lire. Et pourtant… si vous ne faisiez que survoler les livres ? Et si je vous disais que vous lisez mal ? Quand bien même vous avez lu des centaines de livres, peut-être même des milliers, et que vous affirmez vous-même, et non sans fierté parfois, que vous dévorezles romans, n’en faites qu’une bouchée. Sauf qu’un écrivain est incapable d’avaler des pages : un écrivain ne se contentera jamais de lire comme un lecteur lambda. Car s’il se contentait de lire comme tout le monde, il n’aurait aucune chance d’écrire autrement que tout le monde. Lire en écrivain, c’est viser le cœur du texte. C’est le démonter comme un horloger démonte un mécanisme de précision. Un art de la lecture dans lequel trop peu d’auteurs s’engagent.

Un commentaire est une denrée très prisée chez les auteurs autoédités, c’est même la seule rétribution lorsque ce dernier poste son livre sur une plateforme de lecture numérique gratuite. Plusieurs commentaires : une quête. Une collection de commentaires peut être le début du succès littéraire, et, quoi qu’il en soit, les commentaires nombreux et dithyrambiques sont le facteur capable d’enclencher la pulsion de lecture, donc d’achat éventuels et ultérieurs de livres. Reconnaissance et revenus étant les moteurs de bien des auteurs autoédités.

Le commentaire est indissociable de la renommée d’un livre et de son auteur.

Parce que l’univers de l’autoédition fonctionne en vase clos, donner ou recevoir un commentaire devient un enjeu. Donner de bons commentaires revient à créer l’opportunité d’en recevoir un bon à son tour. De plus, il semble difficile de juger une œuvre quand on n’est pas tout à fait certain d’en offrir une de qualité. Cette facette de la relation lecteur/auteur dans la sphère de l’autoédition pèse de tout son poids sur la lecture et la biaise automatiquement.

Les textes autopubliés supportant une lecture « à cœur » sont une exception. L’essentiel des livres pourraient -et certains devraient impérativement- être repris. Ce lent et minutieux travail de rectification qui précède toute publication dans une maison d’édition s’intitule « travail éditorial ». N’en ayant pas été l’objet, la plus grande partie des textes autopubliés s’effritent comme des gaufrettes dès qu’on les sonde d’un peu trop près.

Ainsi commence l’apprentissage de la lecture superficielle, une sorte de cercle vicieux : les textes ne supportent pas une lecture approfondie, et les lecteurs qui lisent ces textes s’entraînent sans toujours en être conscients à une lecture « empathique », nécessairement superficielle, laquelle lecture ne permet pas le progrès.

Combien de fois entend-on ces expressions : « J’ai dévoré votre livre en une nuit ! » ou encore « Je n’ai fait qu’une bouchée de cette friandise littéraire ! » ? Ces formules, censées flatter et rassurer l’auteur, révèlent en fait un mode de lecture qui ne laisse aucune place à l’analyse. L’écrivain-lecteur, au lieu de s’attarder sur les choix stylistiques, narratifs ou rythmiques, consomme l’histoire comme un simple divertissement. Il oublie que lire comme un écrivain, c’est décortiquer, observer, comprendre comment l’auteur a construit son univers.

Le langage de la lecture dans l’autoédition est un langage de consommation. On ne lit pas un texte, on l’avale. On ne s’attarde pas sur un passage, on engloutit l’histoire. On ne s’interroge pas sur un choix narratif, on se régale d’un bon moment de lecture.

Un lecteur classique peut se permettre de survoler un texte, de ne s’attarder que sur son intrigue. Mais un écrivain est censé entretenir un tout autre rapport avec un texte.  Lorsqu’un peintre observe une toile de maître, il ne se contente pas d’apprécier les couleurs et le motif. Il cherche à comprendre la technique, la superposition des couches, le jeu des ombres et des lumières, la composition. Il en est de même pour un écrivain : chaque mot, chaque phrase, chaque silence doit être interrogé, car la meilleure école des écrivains est la lecture.

Ne pas lire avec exigence, c’est passer à côté de ce qui fait la substance d’un texte. C’est se condamner à rester un écrivain moyen, incapable d’affiner son art.

Il est facile de trouver des qualités à un texte qu’on aura lu de manière superficielle, sur l’histoire duquel on aura « surfé ». Il suffit que l’auteur ait produit des personnages attachants, qu’il ait noué une intrigue assez originale (conseils que l’on voit fleurir partout sur la toile), et le tour est joué ! Mais ce genre de texte résiste rarement à une lecture attentive, et, surtout : ce genre de texte ne suscite jamais l’envie d’une seconde lecture.

Un bon texte ne livre pas toute sa matière en une seule lecture. Comme un tableau, comme une musique ou un film, le « bon » texte, celui qui nourrit a besoin de relecture. La première lecture consiste à découvrir les grandes lignes de l’histoire, des personnages, et à se laisser porter par le style. Les lectures suivantes permettent de savourer, de pénétrer… c’est dans ces lectures que l’on entre en relation avec l’œuvre et son univers. Un bon texte se déploie, révèle de nouvelles strates, des subtilités qu’on n’avait pas perçues à la première lecture.

Si l’on voulait donc être un vrai lecteur et donner un véritable retour de lecture, il faudrait s’exprimer au-delà de la première lecture. Force est de constater que tout ce qui est appelé « commentaires » dans la sphère de l’autoédition n’est que l’expressions de ressentis, des réactions émotionnelles sans valeur littéraire.

La meilleure école d’écriture est la lecture. Pour être exact, il faudrait préciser la lecture immersion. L’écrivain lecteur doit apprendre à plonger dans un texte au lieu de glisser à sa surface. Il doit se méfier de cette lecture fluide et confortable, car c’est dans l’effort que se forge la compréhension profonde.

L’écriture exige une lecture exigeante. Un écrivain qui ne sait pas lire ne saura jamais écrire. La lecture, pour un écrivain, va au-delà du plaisir superficiel du divertissement : elle devient un outil d’apprentissage et de perfectionnement.​

Alors, que faire ? Faut-il arrêter de lire ? Non, certes, mais il est urgent d’apprendre à lire (et éventuellement commenter) comme un écrivain.

1. Lire lentement et attentivement

Privilégier une lecture lente, attentive aux mots et aux structures. Cette approche permet de saisir les subtilités du langage et d’enrichir son propre style. Lire à haute voix peut également aider à apprécier le rythme et la musicalité des phrases. ​

 2. Analyser la structure et le style

En examinant comment les chapitres et les paragraphes sont organisés, les écrivains peuvent comprendre les choix narratifs et stylistiques de leurs pairs. Cette analyse approfondie offre des leçons précieuses pour leur propre écriture. ​

3. Lire pour nourrir sa pensée et son imaginaire

La lecture permet aux écrivains de réfléchir à leurs propres pratiques d’écriture. Elle les aide à situer leur œuvre dans le corpus littéraire global et à définir leur style unique.

4. Se mettre dans la peau du lecteur

En lisant, les écrivains découvrent ce qui suscite l’intérêt ou l’ennui chez eux. Cette introspection les aide à mieux comprendre comment captiver leur propre lectorat. ​

5. La lecture comme acte

Lire comme un écrivain implique une lecture active, où l’on analyse les choix de mots, les tournures de phrases et les rebondissements narratifs. Cette immersion profonde éduque l’œil à percevoir les subtilités qui échappent au lecteur lambda. ​

6. Affiner son style personnel

En étudiant comment les grands auteurs manient la plume, les écrivains trouvent inspiration et direction pour affiner leur propre style. L’influence des modèles se transforme en une expression personnelle unique, une fusion de techniques assimilées et d’une voix narrative authentique. ​

7. Élargir son répertoire littéraire

Apprendre à lire comme un écrivain élargit le répertoire littéraire. Les écrivains explorent délibérément différentes époques, genres et styles pour aiguiser leur compréhension des diverses facettes de l’écriture. ​

En somme, la lecture est une composante essentielle du processus créatif des écrivains. Elle nourrit leur imaginaire, affine leur style et les aide à se situer dans le vaste paysage littéraire. Tant que vous lirez comme un consommateur, vous écrirez comme un amateur. Lire comme un écrivain, c’est voir ce qui échappe au regard commun. C’est aussi la clé pour écrire les textes que personne d’autre ne pourra écrire à votre place.


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