Quelles sont sur le parquet, ces traces sombres qui n’y étaient pas auparavant ? Il m’avait fallu un moment avant de comprendre que c’était du sang.
Non ! Pas du sang, mais mon sang.
Le sang de mes petits petons.
Sur le coup, on ne sent rien, c’est après… après la douche, quand on veut enfiler ses santiags. Là, on se dit que ça va être coton pour rejoindre ses pénates. Et l’on n’est pas déçu. Après la brûlure viendront les ampoules. Pas les petites ampoules de bébé, non, les maousses. François rigole en loucedé : « C’est ça, ma jolie ! Au kendo, on commence par se refaire la peau de la plante des pieds ». Il me donne l’astuce pour les mégas-ampoules à venir : les transpercer de part en part avec un fil de couturière passé dans une aiguille.
Le titre de ce billet d’humeur est librement inspiré d’un navet sorti sur les écrans courant 1975, réalisé par Jacques Besnard : Ce n’est pas parce qu’on a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule.
1975… je vous parle d’un temps où les vaches étaient bien gardées (c’est un billet de d’humeur (mauvaise), je précise ! ) : les lecteurs lisaient les écrivains qui écrivaient et qui lisaient aussi beaucoup, becôse, l’écriture commence par la lecture… enfin… commençait. Mais aujourd’hui, nous sommes en 2021, l’année où Gallimard l’aura envoyé emballé dans du papier hallu : « N’en expédiez plus, la corbeille est pleine ! »
Andy Warhol était-il cynique, opportuniste ou clairvoyant en proposant sa toile « Boites de Soupe Campbell » comme œuvre d’Art ?
Que voyons-nous sur ce tableau ? Une série (un copié-collé) de boites de soupe, autrement dit un produit industriel destiné à nourrir les masses.
À cette époque, bien entendu, le terme copié-collé n’avait pas de sens, en tout cas, pas celui que l’on connaît aujourd’hui. En quelques années, cette pratique est devenue la trame de notre quotidien.
Allez n’importe où en France (ou ailleurs), d’une ville l’autre, vous trouverez les mêmes boutiques. Vous pouvez choisir un vêtement à Montpellier, et l’acheter à Lille ou à Strasbourg. Mais cela, c’était il y a vingt ans. Je vous parle d’un temps… Aujourd’hui, tout est plus simple : on va sur l’Internet où des magasins de vente en ligne nous proposent des articles tous semblables, à peu de choses près. Les boites de soupe Campbell auraient-elles envahi notre espace quotidien ?
Ce qui est arrivé aux objets a fini par se propager à la production artistique. Je laisse à d’autres le soin de s’exprimer sur les arts picturaux, la musique, le cinéma, etc. Je vais m’en tenir à mon rayon : le livre (remarquez que je n’ai pas employé le terme littérature)
Alors, qu’est devenu le livre ?
Je crois ne pas m’égarer si j’affirme qu’il est devenu l’égal d’une « soupe en boite ».
Prenons le temps de le regarder en détail, et commençons à décrire ce qui se voit en premier :
La couverture.
Attractive, voilà ce qu’elle doit être. La couverture du monde d’avant, monochrome la plupart du temps, mentionnant seulement le nom de l’auteur, le titre et l’éditeur s’est transformée en quelques années en une sorte d’affiche publicitaire.
On la travaille comme on travaille le packaging d’objets manufacturés.
À chaque style de livre son iconographie qui varie avec l’air du temps : La romance et ses images d’Épinal du bonheur. Le feel good et ses couleurs acidulées, son look kawaï. La comédie et ses illustrations décalées, limite déjantées. L’histoire de vampires, fantômes & Co et ses couleurs gotiques. La Fan Fiction et ses compositions bizarroïdes, baroques. Etc.
Un étal de livres est aujourd’hui une mosaïque criarde, une sorte de cacophonie visuelle.
Sur la couverture : le titre.
Ici encore, on attend un titre accrocheur, vendeur, qui impacte immédiatement la libido du lecteur. La phrase fait recette, surtout si elle sonne comme le slogan d’une pochette surprise.
Arrivée à ce point, je me demande si l’on parle toujours du livre tel qu’on l’a connu par le passé. Et n’allez surtout pas voir là une idée personnelle, car c’est l’observation stricte de l’existant.
où l’on découvre que Gallimard doute de son image
Enfin, le 4e de couverture
Bref. Retournons l’objet afin de découvrir son fameux 4e de couverture. Nous parle-t-on du livre, de ce qu’il renferme, d’un contenu ? Eh bien, non. Ou plutôt si, mais pas réellement. Là aussi, il existe des règles pour qu’un 4e — qu’on lira en définitive parce que la couverture n’a pas fait mouche ! – détermine l’acte d’achat.
Ce 4e doit parler non pas du livre, mais de ce que le lecteur éprouvera en lisant le livre. Il s’agit là d’un glissement sémantique parfois d’une confondante naïveté, parfois plus subtil. La lecture du 4ede couve, doit vous donner l’impression d’être déjà dans le livre. Cette présentation doit vous rassurer (vous ne serez qu’à peine dépaysé), et vous persuader que ne pas acheter le livre serait une erreur. (Cela me rappelle les camelots des marchés de mon enfance qui vendaient des ustensiles de cuisine miraculeux, de la vaisselle incassable, des chiffons aspirant la poussière… rien que de la magie.) Parfois le 4e du livre machin pourrait se trouver sur celle du livre truc que le lecteur n’y verrait que du feu. Et qu’importe d’ailleurs, puisqu’il n’est pas là pour lire un ouvrage de littérature, mais pour éprouver des émotions. Ne dit-on pas ici et là : « ce livre m’a fait du bien ! », « j’ai beaucoup ri ! », « je n’ai plus pu le lâcher ! », « je l’ai dévoré ! », « je me suis senti-e si proche du personnage, comme si j’avais été happé-e par son histoire ! », etc. Et ne trouve-t-on pas cela naturel ? Alors qu’on devrait plutôt soulever les sourcils jusqu’à la racine des cheveux ?
Ah, mais oui, suis-je niaise… le divertissement !
Lire est devenu un divertissement (au même titre que regarder la télé, écouter la radio, aller au spectacle, voyager [sic]).
« Mais ce sont bien là des divertissements, non ? » vous entends-je éructer.
Certes… certes…
Diantre… diantre…
Diable ! Diable !
Excusez-moi. Je m’égare. Ce sont les nerfs, je crois bien. Je vais prendre mes gouttes et je reviens à vous dans une seconde.
Voili, voilà. Me revoilou.
Et dans ce lilivre donc, quoi que nous avons-nous ?
Une histoire,
allez, j’abrège : une histoire/convenue.
selon les cas : navrante de bêtise, étonnante d’invraisemblance, touchante de mièvrerie, stupéfiante de culot — mention spéciale pour tout ce qui touche au développement personnel —, drôle comme une émission télé, mouillante comme un porno soft, abrutissante de bons sentiments.
Et là, tant pis pour les ennemis que je vais me faire tant chez les lecteurs que chez les auteurs, mais il faut que je pose la question qui tue :
Un livre est-il fait pour raconter une histoire ? Même un roman ?
Eh bien, mes cadets, mes p’tits frères, mes sœurettes, au risque de vous surprendre la réponse est NON. La nature profonde d’un livre, disons un roman au sens très large n’est pas une histoire, elle est même tout sauf cela. La nature profonde d’un roman est couleur, lumière, chant, son, voyages intérieurs, style, images, respiration, métamorphoses, souffle, palpitation, changement de perception… tout sauf l’infâme soupe Campbell.
Alors, question : le livre a-t-il la moindre chance de survivre à la torture qu’on lui fait subir ?
Nous avons tous rêvé un jour de voir nos textes édités à compte d’éditeur.
Pour certains, ce rêve s’est concrétisé.
Si pour quelques uns, le rêve a pris forme, pour l’immense majorité, il a tourné court ; pour une infime partie il a même viré au cauchemar…
Mais quelle que soit la tournure prise par les événements, il est une constante à laquelle aucun auteur, heureux ou malheureux, ne peut se soustraire : éditer à compte d’éditeur implique de se départir de tous droits sur son texte.
Eh bien oui, j’avoue. Je n’avais encore jamais lu Lolita. Et finalement, je suis enchantée de ne découvrir ce texte qu’en 2020. Non seulement après « me too », après « le Matzneff nouveau », après les innombrables procès pédophiles, etc. Mais surtout après le confinement, le déconfinement et juste avant le reconfinement et le re-re, et après la censure sur les réseaux sociaux et ailleurs, le couvre-feu au-delà de 21 heures dans les villes, etc., etc. En bref, après la mise sous cloche de la société.
Tous ces éléments réunis m’ont poussée à exhumer un questionnement qui m’a longtemps obsédée dans ma prime jeunesse, mais que les contingences de la vie m’avaient fait un peu oublier : à quoi ressemblerait une contre-culture littéraire aujourd’hui ? Est-elle encore possible ?
À quoi ressemblerait une contre-culture littéraire dans le monde actuel ?
J’ai cru apercevoir quelques pistes de réponses à travers ma lecture de Lolita.
Il est dans la nature d’un auteur de nous entraîner dans son univers. C’est ce que fait Sol Ferrières avec ses deux romans « L’éclat de verre » et « Un certain Arthur Kramm « . Mais il fait plus, beaucoup, infiniment plus.
Si, comme moi, vous aimez le dessin, la bande dessinée, mais que la seule chose que vous réussissez à dessiner c’est le bonhomme patate… vous allez vivre avec les romans de Sol Ferrières une expérience pas ordinaire. Vous allez pouvoir concevoir, au moins dans votre tête, une BD unique, la vôtre. Ouvrez le livre et laissez s’éveiller l’illustrateur qui sommeille en vous.
« Le point commun entre mes nombreuses expériences professionnelles et personnelles m’a longtemps échappé, mais j’ai fini par le trouver : c’est le rapport entre l’écriture et l’image. Le mot écrit dans son rapport à l’image me fascine. »
La satisfaction… ce n’est pas en principe le sentiment qu’un auteur-écrivain éprouve facilement. S’il ne marche pas à côté de ses pompes, il voit plutôt les points noirs de son « œuvre », ses abcès, ses furoncles ; il en mesure l’approximation, les creux, le vide… En règle générale, elle est plutôt là, sa destinée : mariner dans l’insatisfaction.
Mais peut-être que je ne parle ici que de moi-même, et de ma soif de toujours faire aujourd’hui mieux qu’hier…
Eh bien, le croirez-vous, pour une fois me voici satisfaite.
(Ici, on entend l’Alléluia de Haendel)
tout en admirant, hosannah! « La procession des anges » peint par Elisabeth Sonrel
Je tenais à le faire savoir, merdre, ce n’est pas tous les jours que ça m’arrive !
Et quel objet attise-t-il-t’y cette joie barbare et bestiale ?
De vous, je n’ai longtemps connu que les poèmes. Poèmes qui traduisent, comme vous le dites, vos sentiments personnels, votre propre vie et puis les douleurs et les peines des classes défavorisées. Des poèmes qui me pincent toujours le cœur, qui effleurent quelque chose de profond… l’esprit, qui sait ?
De vous, j’ai vite été curieuse. Il est si facile de nos jours d’abolir les distances grâce à la technologie, que nous avons pu facilement communiquer grâce à l’internet. J’ai senti dès nos premiers échanges que j’approchais un jeune homme réservé, et je dirais presque… rangé.
De vous, j’ai appris que vous êtes étudiant en deuxième année de philosophie à D’Jamena, et que vous habitez la région sud-est du Tchad, qu’on appelle Moyen Chari.
Je viens d’une époque ou grandir était synonyme de conquérir. Tout donnait l’impression de pouvoir encore être découvert. L’existence était sans limite, l’an 2000, à portée de main, un rêve, une folie, une perfection.
La sortie de l’enfance signait le début de la conquête, un défi qui donnait des ailes ou des crampes dans le ventre, les deux la plupart du temps. Et de cette tension intérieure jaillissait une formidable source d’inspiration.
On le savait, il ne fallait pas traîner chez ses parents. On les quittait vers dix-huit ans, avec trois culottes, une petite valise pour tout viatique. Passé le seuil de la maison paternelle, la vie nous ouvrait les bras. On partait ferrailler.
De là naissait nos croyances, nos représentations du monde et, en quelque sorte, nos destinées.
Tout cela, je viens seulement de le réaliser, car aujourd’hui plus rien n’est pareil.
Mercredi 4 mars, campagne de « promotion » d’Adieu Amériques, j’ai rendez-vous avec Luigi Mollo, président de l’association l’Italie à Toulouse. « Monsieur Mollo lui aussi est écrivain », m’a glissé la secrétaire.
Aussitôt, je m’attends à rencontrer un napolitain aux tempes argentées, un érudit, un vieil homme aux allures aristocratiques désinvoltes, une espèce de monument flamboyant et insaisissable. Du lourd, pour le dire en un mot.
Moi, vous me connaissez : toujours sur les nerfs, à cran, fonçant à travers les immenses steppes de l’existence avec la légèreté du char d’assaut.
Quand Luigi Mollo est entré dans la pièce, j’ai eu l’impression d’arriver à fond dans une mer de sable. Trop tard pour me composer un personnage tout en retenue, féminin et délicat. D’ailleurs, quand on est l’auteur d’Adieu Amériques, tout espoir est perdu de ce côté-ci.
Donc, je suis restée nature, et là, j’ai eu une des plus étranges sensations : Luigi Mollo absorbait mes propos déments et grotesques avec une grâce quasi divine. Je l’ai quitté une heure plus tard, apaisée, état qui, chez moi, se rapproche plus du K.O. que de la béatitude.
Par la suite, j’ai découvert quelques écrits de Luigi, et j’ai élucidé une part de ce qui s’était passé lors de notre entrevue.